Rachat de Brut par Rodolphe Saadé : une nouvelle étape de la concentration des médias

En mettant la main sur Brut, Rodolphe Saadé étend encore un peu plus son empire médiatique et renforce son influence sur l’information. Une opération qui relance le débat sur la concentration des médias en France — et sur ses effets sur notre démocratie, notre regard sur le monde et les voix qui parviennent jusqu’à nous.

Le média de vidéos en ligne Brut a été racheté par le groupe de transport maritime CMA CGM, propriété du milliardaire Rodolphe Saadé comme cela a été annoncé le vendredi 12 septembre après des négociations entamées début juillet. Cet achat vient ajouter Brut à la liste de médias que Saadé possède déjà, à l’instar de BFMTV, RMC et de journaux comme La Provence ou encore La Tribune. Ainsi CMA Media, filiale de CMA-CGM, se félicite grâce à cette opération de

« devenir un acteur incontournable du paysage médiatique français, s’adressant à tous les publics et couvrant l’ensemble des canaux ». 

Brut, une porte d’entrée vers la jeunesse pour l’empire Saadé

En effet, le Média Brut, rentable depuis 2024 et comptant 250 employés, s’inscrit parfaitement dans ce plan. Avec 13 millions d’abonnés Tiktok, 5 millions sur Instagram et 2,6 millions sur Youtube, celui-ci parle avant tout à une audience de jeunes, cible qui était jusqu’à présent plus difficile à atteindre et à engager. Ainsi, selon les mots de la filiale. l’intégration “marque la création d’un troisième pilier stratégique au sein de CMA Media, le pôle social [réseaux sociaux], aux côtés des pôles presse et audiovisuel”. Le groupe s’apprête par ailleurs également à racheter la chaîne de télévision Chérie 25, appartenant pour l’instant toujours à NRJ. 

Quant au média Brut, il conserve sa directrice générale, Elsa Darquier qui sera néanmoins placée sous la responsabilité de Claire Léost, nouvelle DG de CMA Média et ancienne présidente de Prisma Média, propriété de Vincent Bolloré. 

La concentration des médias, un levier d’influence politique

Ce rachat ajoute une pierre à l’édifice déjà bien installé et croissant de ce que l’on appelle la concentration des médias. C’est un processus de prise de contrôle par des individus ou organisations sur les différents relais d’informations et de savoirs. En France, selon la chercheuse et économiste Julia Cagé, 9 milliardaires détiennent plus de 80% des médias. Un moyen pour ces derniers de diffuser leurs opinions de manière large et d’imposer leur ligne éditoriale un peu partout dans le paysage informationnel et médiatique français, influençant ensuite les discours et débats publics, mettant en avant certains thèmes plutôt que d’autres. 

L'allégeance politique de ces milliardaires se situant souvent à droite voire à l’extrême droite, le déplacement de la fenêtre d’Overton s’effectue de manière plus en plus flagrante ces dernières années. On observe une augmentation de la présence de sujets liés à l’immigration, l’insécurité ou encore la délinquance dans les médias, des thèmes abordés afin de faire peur aux français, de provoquer une réflexion réactionnaire chez eux et de promouvoir un agenda politique à droite. 

L’exemple le plus flagrant de cette offensive reste le projet Périclès du milliardaire Pierre-Edouard Stérin, qui a pour but d’infiltrer toutes les sphères médiatiques, politiques et culturelles pour y promouvoir des idées conservatrices et des valeurs chrétiennes. Dans une vidéo parue en juin, le patron de Smartbox expliquait qu’il était nécessaire d’avoir "plus de bébés de souche européenne", et qu’il faudrait "Faire en sorte que ces bébés soient baptisés, ou sinon, évangélisés de façon plus globale". C’est par ailleurs grâce à cette même stratégie que la chaîne d’info en continue d’extrême droite Cnews, propriété de Vincent Bolloré est passée première en 2024, alors même que celle-ci a été sanctionnée 9 fois par l’Arcom la même année, et condamnée à verser 150 000 euros d’amende, notamment pour avoir dit que l’avortement est “la première cause de mortalité dans le monde”. Face à ce contexte politique grandissant, l’importance de développer un sens critique et un recul face aux informations qui nous sont délivrées est cruciale, afin de mettre en avant d’autres thèmes dans le débat public.